La vie des chefs

Anthony Dorard – Chef du « Restaurant Le Sébastopol” à Lille

18 octobre 2019

« Sans passion on ne tient pas dans ce métier-là. »

 

Le restaurant Sébastopol, lieux incontournable de Lille, est un restaurant où Anthony Dorard s’efforce de travailler avec des produits frais et de saison. Anthony et son équipe y travaille des plats entre terre et mer pour vous procurer une expérience gustative inoubliable.

 

Bonne lecture à vous les gourmands !

 

Est-ce que la cuisine a toujours été une évidence pour toi ?

Une évidence non parce que j’ai fait un bac Économique et Social au départ. J’étais préparateur en pharmacie. Au bout de 6 mois j’ai arrêté parce que ça ne m’a pas plu du tout. Il fallait que je trouve un métier pour payer mes factures, mon appartement… J’ai commencé à faire un peu de service en salle, de bar. À un moment donné, le mépris des gens ne me convenait plus. Pourtant j’adore le contact avec le client, je suis quelqu’un de très humain et assez ouvert d’esprit.

 

J’ai parlé avec un chef de cuisine en lui disant « Le métier me passionne mais la salle ce n’est pas pour moi. Peut-être que ma place est en cuisine. »
Mais je n’avais aucune notion, je ne savais pas faire une mayonnaise ni cuire des pâtes.

À 18 ans, je venais de partir de chez mes parents donc c’était un peu compliqué au début. Mais ce chef-là m’a pris sous son aile.

 

J’ai commencé par des choses très basiques : faire des salades, des coupes de glaces, des crêpes et des gaufres. Et de fil en aiguille avec l’investissement et la passion et je suis monté step by step. 14 ans après j’ai fini chef de cuisine.

 

 

 

Qui était ce chef ?

C’était dans le Nord-Est de la France à Sarreguemines, c’était monsieur Jean-Joseph Rhoof.  Je pense qu’il doit avoir 85 ans maintenant. Mais à l’époque c’était une petite pointure dans ma petite région. Il était dans les 3 meilleurs chefs de la Moselle.

 

« Le métier me passionne mais la salle ce n’est pas pour moi. Peut-être que ma place est en cuisine. »

Comment tu t’es formé par la suite ?

Un peu tout seul parce que très vite je me suis retrouvé chef de cuisine dans une brasserie 3/4 ans après avoir travaillé avec ce chef-là. Cette brasserie était très simple, on envoyait des grillades et des escalopes. J’avais toujours à cœur de faire mes légumes, mes poissons et mes viandes fraiches. J’ai fait 7 ans là-bas. J’étais autodidacte de A à Z.

 

À un moment donné de ma vie j’ai tout plaqué du jour au lendemain pour venir ici à Lille parce que j’y ai rencontré ma femme.

À Lille j’ai rencontré le deuxième chef qui m’a fait naître dans cette cuisine assez bistronomique même si je n’aime pas ce mot. C’était Michel Reutenauer. Il a été promu meilleur chef en Belgique, il a eu une étoile à l’Esplanade et il était à la Laiterie il n’y a pas longtemps. Chef du Carré des Sens à Villeneuve d’Ascq à l’époque, c’est là où on s’est rencontrés. C’est là-bas que nos deux mondes de cuisine, le mien plus fou et funky et le sien plutôt terroir et ancien, se sont mélangés. J’y suis resté deux ans.

 

Ensuite on a déménagé à Bordeaux pendant deux ans avec ma femme car elle a été mutée. J’ai rencontré le chef Matthieu Robin qui est le chef pâtissier de Philippe Etchebest quand il avait le restaurant 2 étoiles à Plaisance.

J’ai atterri au Quatrième Mur avec Philippe Etchebest justement, pendant un peu plus d’un an. Je me suis formé en pâtisserie, j’ai passé un CAP en accéléré.

Cela a aussi été une troisième belle rencontre car c’est une personne très humaine et très gentille. Je pense que c’est la personne qui m’a le plus marqué de par sa médiatisation, sa popularité. Il a le cœur sur la main, est très proche de son personnel. On était 25 en cuisine et en salle mais il disait bonjour à tout le monde quand il arrive. Lors de mon premier jour, il s’est rendu compte que j’étais nouveau et m’a pris à part pour discuter de mon parcours et il m’a dit qu’il était fier de nous avons dans son équipe. J’ai évolué grâce à lui sur le plan humain, personnel, management, c’est très important.

Ensuite, retour ici ?

Oui, retour ici. Nicolas est un pote à moi et il m’a expliqué qu’ils cherchaient un chef pour travailler ici. Alors j’ai rencontré Jean-Charles Lecointre et j’ai commencé ici au Restaurant Sébastopol, 5 jours après.

 

 

Qu’est-ce que tu as apporté au Restaurant Sébastopol ?

 

Le côté humain, la générosité et la simplicité. Je vais toujours en salle pour voir les gens et ils aiment ça. Avant ça ne se faisait pratiquement pas. Je pense que j’ai donné, sans me lancer des fleurs, une âme à la bonne franquette.

 

Comment tu définis la cuisine ici ?

Ma cuisine personnelle est assez freestyle. Avec mes gars on ne se refuse rien. On essaie toujours d’associer des choses un peu inhabituelles. Il n’y a pas de limite en cuisine. Il faut trouver le bon équilibre, la bonne balance. Il n’y a pas d’interdit. Toujours dans le partage aussi, il n’y a pas une assiette qui sort de la cuisine sans que chacun ait apporté son point de vue. C’est très important, ça créer un noyau familial.

 

C’est pareil en salle, on leur demande d’intervenir, de goûter afin de savoir si ça leur convient.

 

 

« J’ai évolué grâce à Philippe Etchebest sur le plan humain, personnel et management. »

 

 

 

Est-ce qu’un membre de ta famille t’a donné l’envie de faire de la cuisine ?

Non, pas du tout. Mes parents ne sont pas du tout du métier de la restauration. C’est vraiment venu par hasard. Dès les premières secondes j’ai accroché et la passion est née tout de suite. Je n’ai aucun regret.

 

Depuis que tu es au Sébastopol, est-ce qu’il y a un plat qui est un peu devenu fétiche ?

Fétiche je ne peux pas le dire car je change énormément la carte ici.

Elle est modifiée toutes les semaines avec une entrée, un plat et un dessert. Je propose 3 entrées, 3 plats et 3 desserts. On ne cuisine jamais deux fois la même chose. Des fois il y a des produits qui reviennent c’est sûr et certain mais on ne fait jamais la même recette.

Un plat phare qui est vraiment ressorti du lot, c’était une échine de cochon avec un chou farci et des moules au romarin. L’association cochon / moules est improbable mais on a eu un très gros retour des clients. En dessert j’avais fait un mojito avec tous les traceurs du cocktail.

 

 » Je vais toujours en salle pour voir les gens et ils aiment ça. »

 

Où vas-tu chercher l’inspiration ?

Avec mes gars. On discute ensemble, ça me donne des idées. Tous les matins on se demande ce qu’on pourrait faire, on sélectionne des produits et on y ajoute d’autres choses. Je ne suis jamais une recette définie, je n’ouvre pas un bouquin de cuisine. Je m’inspire de tout.

 

Sur quoi ta cuisine est basée ?

Je fais beaucoup de terre et mer. Je mélange beaucoup la viande et le poisson. Je trouve que ce sont deux mondes différents qui s’associent très bien. Il faut trouver le bon équilibre.

 

Il y avait un plat qui avait fait un bon retour c’était le boudin noir avec du turbo. Et le foie gras / cabillaud. C’est justement ce plat là que le guide Michelin a dégusté. Il a notifié que le plus surprenant était que ça fonctionnait très très bien !

S’ils ont compris dans le goût ce que j’ai voulu retranscrire dans l’assiette c’est cool.

 

Tu t’inspires d’autres pays aussi ?

J’essaie toujours de rester français.
Aucun chauvinisme là-dessus mais en France on a un des plus beaux terroirs en cuisine. La région du Nord est aussi l’une des plus belle. On essaie au maximum d’être local, on essaie. Mais parfois par rapport aux saisons on tourne vite en rond donc on s’éloigne un peu du Nord mais on reste toujours français.

Manger une bonne carotte en saison ça n’a aucun rapport avec le fait d’en manger en hiver.

 

 

Tu reproduis ça avec tes stagiaires ?

Les stagiaires ici sont tout le temps les bienvenus, la porte est toujours grande ouverte, vous venez quand vous voulez.

D’ailleurs je vais raconter quelque chose qui m’a marqué ici dès mon arrivée au Sébastopol. J’avais un petit Guinéen qui est devenu mon apprenti maintenant, il m’a fait penser à moi au tout début. Quelqu’un de très passionné, il avait l’envie alors qu’il ne connaissait rien, il n’avait jamais fait de cuisine de sa vie.

Six mois après il prenait déjà le piano tout seul. Je lui transmets tout ce que je peux transmettre, il n’y a aucun secret, je ne garde rien pour moi. C’était un bon moment avec lui.

 

 

 » J’essaie toujours de rester français. Aucun chauvinisme là-dessus mais en France on a un des plus beaux terroirs en cuisine « 

 

Tu dirais à un jeune que la passion est importante ?

Sans passion on ne tient pas dans ce métier-là. Il y a deux mondes, celui de la restauration des grosses chaines et la restauration comme ici ou ailleurs à Lille. Le Rozó, Le Rouge Bar, Le Gabbrot, Les Éphérites, la liste est longue. On a à cœur de bien faire les choses, de cuisiner 100% maison, produits frais, locaux, de saison.

 

Une récompense Michelin ou Gault & Millaut c’est quelque chose d’important pour toi ?

Pas du tout.

 

Même pas pour le côté personnel ?

Forcément, avoir des récompenses c’est touchant, ça fait plaisir. J’ai eu la chance d’avoir une assiette au guide Michelin en février 2019, on était très contents, on a fait la fête.

Mais ça ne devient pas un frein pour moi. La récompense n’est pas une obsession.

Pour moi le principal c’est que mes clients soient contents et qu’il y ait du contact. Si je vais voir les gens, c’est ça le plus beau retour.

 

Qu’est-ce que tu fais en dehors du restaurant ?

Je profite d’être avec ma femme. Ici on a la chance d’être fermés samedi et dimanche, je l’ai mis en place quand je suis arrivé. Avant c’était fermé mardi, mercredi soir et dimanche. Pendant 6 mois je ne coupais pas. Le mardi soir on était fermé mais je restais jusque 19h pour la mise en place. Le dimanche c’était pareil, on allait manger un bout avec ma femme et je repartais dans les commandes. C’était très compliqué pendant 6 mois parce que j’enchainais et physiquement je n’arrivais plus à tenir.

 

On en a discuté, on a remarqué que le samedi midi c’était plus calme que les autres jours. Le lundi par contre c’est une très grosse journée car beaucoup de restaurant sont fermés. On a analysé les retombées, le mardi et le mercredi le restaurant fonctionne très bien grâce à l’ouverture du théâtre. On bosse avant le théâtre, pendant et après.

 

 

Tu aimerais ouvrir ton propre restaurant ?

Forcément. Avant que j’arrive au Sébastopol – c’est pour ça que j’avais fait un CAP pâtisserie – j’avais pour but d’ouvrir mon restaurant. Pour moi il était impossible d’ouvrir un restaurant sans avoir la maitrise de la pâtisserie.

 

La dernière chose qu’on mange c’est le dessert donc c’est la dernière note. Et un dessert de cuisinier c’est totalement différent d’un dessert de pâtissier. Les gens aiment bien terminer sur un dessert de pâtissier. On remarque tout de suite la différence. C’est un métier à part entière. C’est pour ça que j’ai fait cette formation.

 

Malheureusement l’ouverture n’a pas pu se faire. J’arrivais de Bordeaux, je n’avais pas trouvé de local, je n’avais pas encore fait d’étude de marché, je n’avais pas monté de dossier.

 

J’ai eu cette opportunité là avec Jean-Charles qui m’a expliqué le projet. Ça va se résumer très simplement, ici c’est comme si c’était mon restaurant. Il me donne les pleins pouvoirs, il me laisse faire ce que je veux, en cuisine je peux travailler les produits qui me font envie tout en respectant certaines choses. Il m’a donné un restaurant sans les charges qu’il y a derrière et je lui en suis entièrement redevable.

 

Tu vas manger chez les copains restaurateurs parfois ?

Tout le temps. Le dernier, au Bistrot du Witloof. J’adore la cuisine de Mickaël Braure, elle me parle énormément. On aime les mêmes choses. À l’époque je l’avais connu à la Royale, c’était ma cantine avec le Gabbrot.

J’en fait beaucoup et il y en a encore où je dois aller au Marcq par exemple.

Chez Alex des Éphérites, Diego au Rozó aussi. Samedi je vais chez Steven Ramon, je pense que ça a été une des plus grosses claques culinaires que j’ai prises. Pourtant j’y suis allé au tout début et je suis revenu après Bordeaux, c’était un très bon moment. J’ai redécouvert Steven différemment, c’est une très belle personne. Il a un grand cœur, il est très sensible, un peu comme moi.

 

Tous les chefs que tu rencontres ont une très grande sensibilité ?

Ah oui bien sûr, je pourrais en citer plein sur Lille.

Mais forcément quand on a un commentaire ou un retour client qui est très positif, ils demandent à voir le chef et nous félicitent, c’est touchant. On est très sensibles à ça.

Et on devient de plus en plus sensibles.

 

 

Si tu ouvres ton restaurant ce serait sur Lille ?

Oui. C’est trop bien par ici. À la campagne ce n’est pas évident. On est un peu éloigné. J’en parlais avec Mickaël d’ailleurs. En centre-ville c’est plus attractif. C’est un choix.

 

Un mot pour vous définir ?

Simple et humain.

 

 

Adresse : 1 Place Sébastopol, 59000 Lille
Téléphone : 03 20 13 13 38
Site internet : www.restaurantsebastopol.com

 

Crédit photos : Jonathan DagniauxTEDA ©

 

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