La vie des chefs

Eric Fernez – Chef du Restaurant “d’Eugénie à Emilie” à Saint-Ghislain

14 janvier 2019

“Pour moi, une bonne omelette fraîche avec des frites, c’est de la gastronomie”

 

Éric Fernez, chef du restaurant « d’Eugénie à Emilie » a bâti en quelques années une référence gastronomique belge qui attire gourmets et gourmands autour d’une cuisine personnelle inspirée des grands noms de la cuisine française. Une Cuisine gastronomique centrée sur la gourmandise avant tout. Une cuisine hors du temps et des tendances, où le Chef a comme unique ambition de servir aux gens ce que lui aime manger et cuisiner.

 

 

Qui vous a donné envie de cuisiner et quelle a été votre parcours ?

Ma grand-mère. Je suis restaurateur indépendant, seul, depuis que j’ai 19 ans. J’en ai 59 aujourd’hui.

J’ai ouvert un bistrot de village à Warquignies, ça s’appelait la “Clef du Bois”. C’est là que tout a commencé. J’avais une formation en école hôtelière et j’ai travaillé pendant une paire d’années dans des restaurants à Mons. Des établissements sans prétention mais j’ai eu un bon chef qui m’a dégrossi. A partir de là, mon parcours a été autodidacte jusqu’au jour où on racheté ce bâtiment en 1990. C’était un bistrot qu’on a transformé en salle de banquet beaucoup plus grande.

 

Le déclic a été il y a 14 ans quand j’ai fermé ce restaurant. Il avait un très bon niveau mais je n’étais pas assez présent. J’avais 3 autres restaurants. La cuisine ne me ressemblait plus et je m’en suis rendu compte.

Je suis arrivé un dimanche et j’ai dit que je fermais. Le lundi c’était fait. Pendant les 4 ans qui ont suivi, je n’ai fait que du gros traiteur. On bossait comme des fous. Puis j’ai eu envie de réouvrir. J’ai dit à mon épouse qu’on allait changer d’enseigne et ne faire que la cuisine que l’on voulait vraiment faire, sans s’occuper des guides. Et ça a été l’effet inverse. Je me suis un peu cherché la première année. J’ai été trop loin dans la classicisme, je faisais de la cuisine d’il y à 45 ans. On a quand même été cités dans le Michelin directement.

Puis on a allégé un peu, tout en restant classiques. Trois ans après, on était étoilés. Puis deux ans après, deuxième étoile. On a mis l’équipe en place : 8 personnes en cuisine pour faire 25 couverts. Ils sont 4 en salle à faire le service en permanence.

 

“Notre truc, c’est le produit. Il n’y a pas besoin de grands artifices
quand il y a un grand produit”
.

 

 

Quel est l’avenir de la gastronomie en Belgique, selon vous ?

On perd de la vitesse pour des raisons de rentabilité. C’est sûrement pour ça que Michelin change quelque peu sa façon de donner des étoiles. S’ils ne donnent pas une récompense aux restaurateurs “plus modestes” mais qui savent cuisiner, ils ne le feront sans doute plus jamais.

Il y a de moins en moins de maisons vraiment solides où les chefs sont propriétaires des murs. On se pose quand même quelques questions parce que Michelin donne des étoiles depuis quelques années à des établissements qui n’en auraient jamais eu il y a 10 ans.

 

“Pour moi, une bonne omelette fraîche avec des frites, c’est de la gastronomie”.

 

Vous dites que la gastronomie commence par faire des bonnes des frites. Pourquoi ?

Parce que la notion de gastronomie est galvaudée.
Aujourd’hui, on associe les brasseries au bistrot et les restaurants à la gastronomie. Et maintenant on a introduit la bistronomie. C’est apparu avec le Bib Gourmand, parce que certains bip gourmands étaient à la limite de la gastronomie. Mais pour moi, une bonne omelette fraîche avec des frites, c’est de la gastronomie.
Beaucoup de restaurants dits gastronomiques ne savent pas faire une bonne mayonnaise ou une frite fraîche en Belgique.

 

“Il n’y a rien qui sort en salle qui ne soit pas validé par moi.”

 

Vous avez un plat emblématique dans votre restaurant ?

Justement, on a encore vécu l’exemple il y a deux jours.
Un de nos clients fidèles depuis plus de 10 ans, fou de notre cuisine classique, amène des amis ici. Il adore un de nos classiques ici, la Sole Fernand Point, que Bocuse a beaucoup travaillé; et un autre classique : notre poulet de Bresse rôti. Tous ceux qui amènent des amis pour leur faire découvrir notre cuisine veulent manger ça.
Donc je pense que ce sont des plats emblématiques malgré nous, on nous a mis une étiquette. C’est un peu frustrant parce qu’on ne fait pas que ça, loin de là.
Le risotto par exemple, on a quelqu’un en cuisine qui le fait mieux que personne. Il a une sensibilité avec ça, à tel point que je n’arrive pas à le reproduire. C’est pour ça que c’est important d’avoir une équipe. Sur toute la partie créative, ça se fait en équipe. Mais attention, il n’y a rien qui sort en salle qui ne soit pas validé par moi.

 

Vous avez été élu « Chef de l’année 2018 » par le Gault & Millau.
Qu’est-ce que cela fait de passer devant des jeunes ?

Oui, j’ai été élu “Chef de l’année” à 59 ans, c’est la première fois que ça arrive. Ça fait drôle. Je reviens sur les guides mais je pense qu’il y a une remise en question de leurs habitudes et un changement d’approche.
David Martin qui a été élu cette année a près de 50 ans aussi. Ça n’était jamais arrivé avant ça ! Je pense qu’ils sont en train de miser sur les valeurs sûres.

 

C’est une fierté j’imagine ?

C’est sûr. Je ne sais pas si ma carrière s’arrêtera dans 2 ou 10 ans mais ça sera une fin heureuse.

 

“C’est gai d’être une des “vedettes” de la gastronomie en Belgique.”

 

Vous avez vraiment envie d’arrêter un jour ?

J’ai envie d’arrêter pour certaines choses et je n’ai pas envie pour d’autres.
Je veux continuer parce que j’aime mon métier et que c’est gai d’être une des “vedettes” de la gastronomie en Belgique. On est invités à des évènements, on côtoie des gens différents, les contacts sont différents… Et la notoriété est top pour l’équipe.

 

J’ai envie d’arrêter financièrement, fiscalement et socialement.

 

Avez un plat qui vous fait penser à votre enfance ?

Il y en a deux. Une joue de bœuf bourguignonne. Ma grand-mère faisait ce plat là très régulièrement. Puis il y a les plats qu’on a repris ici. Les croustillons au fromage par exemple, que ma grand-mère a aussi inventé. C’est une base de pâte à choux et de fromage. C’est une entrée emblématique du Faitout. Sinon, le plat que je préfère manger, c’est la saucisse en boulettes sauce tomate.

 

Donc, vous avez repris des plats de votre grand-mère ?

Elle s’appelait Eugénie mais elle n’aimait pas son prénom. On l’a appelé Émilie toute sa vie. Ma fille s’appelle Émilie parce que ma femme adorait ma grand-mère.

 

Vous aimeriez que votr fille prenne la succession ?

C’est une décision à prendre. Je ne la pousse pas, je ne la force pas. Elle a fait 3 ans d’études supérieures en gestion hôtelière et elle nous a rejoint il y a 10 ans. Ça fait au moins 5 ans qu’elle gère le Faitout toute seule et très bien d’ailleurs.

 

Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur vos 2 autres restaurants ?

Le Faitout c’est notre bébé. C’est là que je me plais et que je me retrouve le plus dans la cuisine. On a réussi à garder le Bib Gourmand cette année alors qu’on fait 4 à 5000 couverts par mois. C’est une vraie performance. On est toujours sur le produit mais sans chichi. Le Faitout c’est ça.

 

La Marelle qui était notre salle de réception. Ça nous appartient aussi. Et là j’ai voulu refaire ce que j’ai fait quand j’ai commencé : un café. On a appelé ça La Marelle Café. On propose entre 450 et 500 bières différentes, Belges, dont 15 au fût. C’est grand, on peut y mettre 150 personnes mais ça reste cosy et intime. Nous avons énormément de clients français.

 

On a encore d’autres projets également comme monter un hôtel mais j’attends de voir le tournant que les choses vont prendre. L’imposition risque de changer donc j’attends de voir. Ma fille verra ce qu’elle veut faire.

 

Pourquoi les grands chefs Belges sont plus atteignables qu’en France ?

D’abord, le Belge est bon vivant. Comme on est dans un milieu festif, on l’est deux fois plus.
J’ai un attaché de presse et quelqu’un qui gère ma communication pour filtrer et toujours être à jour sur mes sites. Mais on ne peut pas tout déléguer. C’est pour ça que je suis disponible, je veux que tout reste à mon image. Et j’ai le défaut de vouloir tout maîtriser.

Pourquoi on se prend moins pour des vedettes qu’en France ? Difficile à dire.

 

Un mot pour vous définir ?

Ce que je pense de la cuisine, c’est que le goût n’est pas dans la sophistication. Donc s’il fallait choisir un seul mot, ce serait simplicité.

 

Il y a deux semaines, j’ai été invité à Paris pour la dégustation des Grands Crus de Graves. C’était Guillaume Gomez, le chef de l’Elysée qui gérait la cuisine. Il nous a envoyé 3 plats d’une grande simplicité.
Quel bonhomme ! On a été remis à la masse. J’ai des frissons rien que d’en parler. Durant les deux heures que j’ai passé à table, j’ai remis en question toute ma façon de procéder. Je me suis senti tout petit. C’était une commémoration à la grande tradition de la cuisine française. Donc je dirais; pour en revenir à la question, simplicité et humilité.

 

 

 

Adresse : D’Eugénie à Emilie – Place de la Résistance 1 – 7331 Baudour en Belgique
Téléphone : 065 / 61 31 70
Site internet : http://www.eugenie-emilie.be

 

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