« J’aime les projets qui naissent de la rencontre d’hommes et les choses qui durent. »
Le chef David Martin, propriétaire de l’étoilé La Paix, en face des abattoirs d’Anderlecht, a été couronné Chef de l’Année 2019. Il est le premier et seul chef étoilé d’une brasserie. Connu comme l’un des plus fins gourmets de Belgique, sa cuisine est un condensé du microcosme belge: chaleureuse mais sans esbrouffe, généreuse mais raffinée. Bonne lecture !
Racontez-moi votre histoire pour commencer
Je suis originaire du Sud de la France. Mon papa est d’origine Espagnole est ma maman est Alsacienne. J’ai grandi dans le Sud-Ouest. J’ai commencé à travailler en France à l’âge de 18 ans chez un chef qui s’appelait Jean-Pierre Retureau, restaurant l’Amandier. C’était un ancien second de Roger Verger. Il avait ouvert son propre restaurant, le Puits-Saint-Jacques, où j’ai fait un an et demi.
Puis je suis parti en Angleterre. J’ai travaillé dans l’un des palaces privés de la Reine d’Angleterre. Après ça je suis parti à Paris comme second d’Alain Passard à l’Arpège puis à Barcelone puis à la Nouvelle Orléans. Je suis arrivé en Belgique en Décembre 1994. C’était pour faire l’ouverture de l’hôtel Méridien. Je me souviens encore de l’entretien, il a duré presque 10h. J’avais 23 ans. On a parlé de tout sauf de l’hôtel !
A l’époque ça appartenait à Air France. J’y suis resté 8 ans. C’était un des rares 5 étoiles en Belgique. Puis Jean-Pierre Bruneau, 3 étoiles Michelin, est venu me voir et m’a dit qu’il cherchait quelqu’un. J’y ai fait un an et demi puis je suis arrivé ici. J’ai travaillé un an puis j’ai repris l’établissement.
Pourquoi avoir choisi la Belgique ?
Ah mais je pensais rester deux ans. J’aime beaucoup les voyages. J’estime qu’il faut un an pour voir, et une autre année pour comprendre. C’est pour ça qu’en général je restais deux ans dans les endroits où je travaillais. Je ne sais pas, j’ai accroché à la Belgique. Le premier repas que j’ai fait dans ce pays, c’était avec un ami Corse. Quand on est arrivés, il faisait gris et c’était moche. Je voulais faire demi-tour mais il m’a dit que je ne pouvais pas, que j’allais me faire engueuler par le chef.
« J’en avais un peu marre de la haute gastronomie. Le maître d’hôtel qui se pose comme une plante verte, le sommelier qui joue avec le pognon du patron, j’avais fait le tour. »
Quelle est l’histoire du lieu de votre restaurant ?
C’est le restaurant qui appartenait à mes beaux-parents. Ça a 127 ans cette année. C’était une brasserie spécialisée dans la viande. Ils avaient cet établissement depuis bientôt 30 ans. J’ai rencontré mon épouse ici, je venais souvent prendre le petit-déjeuner avec Jean-Pierre Bruneau.
J’en avais un peu marre de la haute gastronomie. Le maître d’hôtel qui se pose comme une plante verte, le sommelier qui joue avec le pognon du patron, j’avais fait le tour. Je trouvais qu’on n’avait pas besoin de tout ce cinéma pour bien faire à manger. J’ai proposé à mon beau-père de bosser un an pour lui et de voir ce qu’on ferait ensuite. Puis on lui a fait une proposition pour tout racheter. On a été progressifs dans le changement. On faisait encore des cervelles meunières, des pieds de porc au début.
Tous les grands chefs étoilés venaient manger ici, ils accrochaient bien. Puis on a commencé à faire un travail sur l’affinage des viandes. On a été le premier restaurant à affiner nos viandes sur place. Quelques années après, ça sortait de partout ce concept. On a un peu été copiés. J’ai voulu encore changer pour ne pas rester dans la globalité de ce qui se faisait.
Je suis parti 15 jours au Japon pour faire le point. En rentrant, j’ai fermé le restaurant et j’ai tout changé. J’ai dis “terminé la viande”. Pourtant on avait du succès ! Le midi on devait fermer la porte. On refusait plus de 100 clients par service. Mais on commençait à s’ennuyer. On avait fait le tour. Je me suis rendu compte qu’on était plus là, ça tournait tout seul. Il y a eu une période un peu vide quand j’ai décidé de tout changer, on a perdu beaucoup de clientèle. Les gens venaient crier.
« L’entrepreneur Japonais ne s’inquiète pas de savoir s’il aura des clients demain. Il se contente de satisfaire ceux qu’il a aujourd’hui. «
Quelle a été la nouvelle identité ?
On va très souvent au Japon mais on ne fait pas de la cuisine Japonaise. On n’y va pas pour chercher des recettes. Ce qui me plaît là-bas c’est le “Less is more”. Les grands artisans qui ont gardé leur identité de départ, ils sont complets constamment. L’entrepreneur Japonais ne s’inquiète pas de savoir s’il aura des clients demain. Il se contente de satisfaire ceux qu’il a aujourd’hui. Aujourd’hui j’ai 20 places mais j’ai une liste d’attente jusqu’au mois d’Avril. Ça m’embête de devoir refuser l’entrée mais je veux que tout le monde soit satisfait quand il repart. Un restaurant ce n’est pas une multinationale. Je préfère avoir 4 établissements de 20 places qu’un seul de 80 places.
« En rentrant du Japon, j’ai fermé le restaurant et j’ai tout changé. J’ai dis “terminé la viande” »
J’ai lu que votre cuisine était un condensé du microcosme Belge. Vous pouvez m’en dire plus ?
C’est un journaliste qui avait dit que c’était une cuisine qui ne se prenait pas au sérieux. Je suis très exigeant. J’ai eu la chance de travailler avec des très bons chefs qui avaient un cerveau et qui essayaient de développer ceux de leurs collaborateurs.
« Aujourd’hui, je ne veux pas faire de la nouvelle cuisine de bistrot, c’est à dire prendre une feuille d’épinard, un fromage posé dessus avec un lait battu. C’est joli mais ce n’est pas de la cuisine. Je ne suis pas un assembleur de pièces détachées »
Vous avez trois autres restaurants, vous participez à des concours et émissions télé… Vous soufflez quand ?
Je n’en ai pas besoin ! J’aime l’adrénaline et le risque mais pas le risque bête. J’aime le sport mécanique, aussi bien voiture que moto.
Vous pouvez m’expliquer rapidement les autres restaurants ?
On a les Ateliers de la mer. C’est un concept qu’on a ouvert avec mon ami, Igor Jovanovich, . On a fait de la pêche au King crabe en Norvège ensemble. Je lui ai demandé si on pouvait en avoir du vivant pour un restaurant. On a fait faire un vivier pour pouvoir le faire. On a été les premiers à lancer ça. J’aime bien m’entourer de personnes qui sont plus fortes que moi dans leur domaine.
Je connais un couple d’amis, Serge Luypaert et Goedele Van renterghem , le mari est passionné de café et son épouse est une artiste graphiste. Un jour il m’a dit qu’il voulait ouvrir quelque chose en rapport avec le café justement. Ça finit toujours en restaurant ces discussions ! C’est ce qui fait peur à ma femme <rires>. Il y a désormais un restaurant, une torréfaction de café et une galerie d’art dedans parce que j’adore l’art. Les projets naissent toujours parce qu’il y a une affinité avec les personnes. On a toujours ouvert des établissements avec la même implication que pour La Paix. J’aime les projets qui naissent de la rencontre d’hommes et les choses qui durent.
L’autre établissement c’est à Zaventem, dans l’aéroport. C’est un restaurant de produits de la mer. Ça s’appelle Black Pearls. On a un comptoir à sushis. C’est en partenariat avec Autogrill. Ça marche très bien.
Quelle est la différence entre un chef Français et Belge selon vous ?
Le chef Français avait une connaissance et une identité locale et régionale. Quand on mangeait chez un chef en Bretagne, on mangeait de la cuisine Bretonne. Quand je suis arrivé en Belgique, je n’ai pas vu ça. C’est assez uniforme dans la cuisine classique et même chez les plus jeunes. Par contre la génération de maintenant, on a des ultra-locavores. Moi j’ai du mal à me refuser certains produits parce qu’ils viennent d’un peu plus loin. Je suis un locavore du monde. Par exemple là je reviens de l’île Maurice parce que j’essayais de faire importer des cœurs de palmier frais. C’est très compliqué. L’arbre pousse pendant 8 ans pour qu’on en sorte l’équivalent de 4 asperges. Ça coûte tellement cher là-bas qu’ils appellent ça la billionaire salad. Mais en terme de goûts c’est impressionnant. Ça ne ressemble à rien d’autre. C’est une super texture.
S’il y avait une seule différence, est-ce que le Français ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas ?
Ça a été le cas à une époque. Les Français se sont longtemps appuyés sur une cuisine classique qui était exceptionnelle. Ils se sont un peu endormis et ont vu que certains se sont réveillés entre-temps.
Je trouve que vous avez une énorme culture du produit. Ça vient des nombreuses maisons que vous avez faites ?
Oui déjà. Puis quand j’étais enfant on tuait nous même le cochon… J’ai mis la main à la pâte !
Quel est le plat de votre enfance qui vous a le plus marqué ?
Les pâtés que l’on faisait. Mais surtout le pâté de foie de cochon que je n’ai jamais refait depuis.
Je vous invite à manger chez moi. Qu’est-ce que vous ne voulez pas manger ?
Quelque chose qui n’est pas de saison. Une belle volaille rôtie avec une purée de céleri, juste ça c’est bon ! On fait une cuisine simple ici.
Vous avez des plats emblématiques ici ?
Oui ! Comme les tartelettes de caviar. Je suis un grand fan de caviar. C’est un grand produit quand il est bien fait. On en fait une tartelette avec des très fines tranches de pommes de terre et on y ajoute de la crème de pommes de terre avec des algues que l’on tartine avec 15g de caviar glacé servi avec une pulpe de moules crues. Ça goûte la noisette.
Quel est le dernier restaurant que vous avez fait ici sur Bruxelles ?
J’ai été manger chez Matthieu dans le restaurant la Villa Emily. J’ai très bien mangé. C’est un garçon qui est élégant et raffiné. Il s’exprime dans sa cuisine. C’est un peu comme Pascal Barbot. Nous allons cuisiner prochainement ensemble avec une dizaine de chefs d’ailleurs.
« Je veux aller manger chez quelqu’un qui a une identité. »
C’est quelque chose que vous aimez les événements comme ça ?
Oui j’adore partager. C’est un plaisir de voir des gars tout donner ensemble. J’ai été manger chez un jeune chef en Flandres, Willem Hiele. J’ai mangé la meilleure soupe de crevettes de ma vie. La cohérence entre le lieu, le chef et sa cuisine, c’est incroyable. Un restaurant qui n’est pas cohérent aujourd’hui, il va se casser la figure. Aujourd’hui, je m’en fous d’aller manger dans un restaurant parce qu’il est côté ou quoi que ce soit. Je veux aller manger chez quelqu’un qui a une identité.
Un mot pour vous définir ?
Concentré mais pas seulement sur le travail. J’aime tout ce qui est concentré.
J’aime que le céleri soit concentré, j’aime qu’une sauce de truffes soit concentrée. Chez nous, c’est 70% de truffes. J’aime être concentré sur ce que je fais aussi. J’ai tendance à dire en cuisine : “Faites la même chose qu’hier mais mieux”.
Adresse : Brasserie Restaurant La Paix 1892 – Rue Ropsy Chaudron 49, 1070 Bruxelles, Belgique
Téléphone : 32 2 523 09 58
Site internet : http://lapaix.eu
Crédit Photos : ©Eric Dabrowski
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