“Je ne rêve pas d’étoiles. Je ne rêve pas non plus de devenir un chef célèbre.”
C’est par une matinée ensoleillée que Benjamin Bajeux m’ouvre la porte de son restaurant « Le Balsamique » près du petit port de plaisance de Wambrechies. Je vois une personne fatiguée d’un service de la veille qui s’est terminé tard. Il est arrivé tôt pour résoudre un petit soucis de plomberie. Il m’invite à m’asseoir à la terrasse pour discuter autour d’un café. Il m’a livré une interview en toute honnêteté sur les différentes facettes de sa vie : le chef cuisinier, le patron de restaurant, mais aussi le fils, le père de famille et le mari. Il n’a pas hésité à lever le voile sur les difficultés des restaurateurs au quotidien. Rencontre avec un chef très humble guidé par une passion dévorante pour la cuisine.
Pourquoi avoir choisi la carrière de chef ?
Je suis fils de restaurateurs. Mes parents tiennent La Baratte à Tourcoing. J’ai grandi dans la cuisine avec une vie de restaurateurs que je connais par coeur et des parents très investis par leur métier. Travailler le produit frais, c’est une une passion qu’ils m’ont transmise malgré eux. Ils ont tout fait pour me dissuader d’être restaurateur.
Pourquoi vos parents vous ont déconseillé cette voie ?
C’est un métier qu’ils connaissent bien. Je pense que mes parents voulaient me préserver des grosses contraintes de la profession que je constate amèrement aujourd’hui. C’est un métier très exigeant et chronophage. C’est 90% de boulot et 10% de vie privée. Dans bon nombre de secteurs, le professionnel peut fortement impacter la sphère personnelle, c’est particulièrement le cas pour la restauration où les week-end et les vacances sont très limités. Et je ne parle pas des amplitudes horaires : en tant que chef patron, il n’est pas rare que je fasse l’ouverture et la fermeture du restaurant. Mais ce soir, non, je m’occupe de mes enfants.
Quel a été votre parcours pour devenir chef ?
Je me suis donné les moyens. Ensuite, j’ai fait une école hôtelière à Avesnes-sur-Helpes en deux ans BEP – CAP. Puis, j’ai passé mon bac techno à l’école hôtelière de Strasbourg. J’ai participé à des concours notamment un championnat de France : c’était incroyable pour moi d’arriver si loin du haut de mes 18 ans. Ce concours m’a donné l’opportunité de travailler dans les plus grands restaurants comme Au Crocodile à Strasbourg, le Manoir aux Quat’ Saisons en Angleterre Le Toiny à Saint Barth auprès de Maxime Deschamps qui est maintenant étoilé, au Taillevent à Paris auprès de Michel Del Burgo, au Louis XV auprès de Alain Ducasse à Monaco. J’ai aussi travaillé pour Marc Merin.
Comment êtes-vous devenu patron de votre propre restaurant ?
J’avais envie de vivre autre chose. Après avoir beaucoup voyagé, je suis rapidement devenu gérant de La Table du Colysée à Lambersart. Didier Béckart m’a vu gérer son entreprise et me l’a vendue l’année de mes 26 ans. Au bout de 7 ans, je suis parti sur un autre projet : la création du Balsamique à Wambrechies.
“Du commis au grand chef étoilé, on n’a pas inventé la carotte, mais on peut la sublimer.”
Quel est votre carburant chaque jour ?
La restauration est un métier de passion. C’est donner de l’amour de gens au travers de sa cuisine. Je dis toujours : du commis au chef étoilé, on n’a pas inventé la carotte mais on peut la sublimer chacun selon sa vision des choses. L’objectif ? Faire voyager le client en dehors de son quotidien en lui faisant découvrir de nouvelles saveurs. J’ai la chance de faire ce que j’aime : le matin, je cueille de la menthe fraîche, de la sarriette, des mûres. Le soir, je vais chercher mes légumes à la ferme ce soir. Tout cela pour mes clients.
C’est pourquoi cela peut être très décevant de ne pas les satisfaire. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, tout le monde s’improvise critique gastronomique mais tout le monde n’a pas nécessairement la compétence… Et il ne faut pas oublier que la cuisine fonctionne à l’émotion : vous apprécierez davantage un plat si vous êtes dans de bonnes conditions. Et nous mettons tout en oeuvre dans notre restaurant pour que cela soit le cas. Mais nous ne sommes pas à l’abri du commentaire désagréable d’un client qui a passé une mauvaise journée… Il ne faut pas grand chose pour que le client soit insatisfait. Le jugement me dépasse d’autant plus qu’il ne se fait jamais en direct. Mais cela fait partie du jeu de la notoriété sur les réseaux sociaux, alors on s’y fait.
“Un chef, c’est quelqu’un qui tient dans la durée après avoir vécu des hauts et des bas.”
Quel est votre meilleur conseil pour devenir chef ?
C’est l’expérience. Un chef, c’est quelqu’un qui tient dans la durée après avoir vécu des hauts et des bas. J’anticipe, je fais des essais, je teste, je tire des conclusions. Je n’ai pas changé de méthode de travail pendant 12 ans, par contre j’ai fait évoluer ma cuisine.
Ensuite, il y a une grande différence entre chef de cuisine et chef patron. Le chef de cuisine peut entièrement se consacrer à sa cuisine alors que le chef patron doit gérer l’administratif, le relationnel, du commercial, de la communication, le recrutement, etc. Je dois très souvent sortir de ma cuisine pour régler des problèmes. Heureusement, je peux compter sur mes 10 salariés : 4 en salle et 6 en cuisine.
“Je veux fidéliser mon personnel. C’est ma façon de voir les choses. Je ne suis rien sans eux.”
Justement votre brigade, c’est votre force ?
Absolument ! Je mets un point d’honneur à ce qu’ils s’épanouissent professionnellement. Et ce ne sont pas que des mots.
Je veille à ce qu’ils travaillent leurs 39 heures hebdomadaires, pas plus. Et en cas de nécessité, on rééquilibre les semaines suivantes. Je ne veux pas leur faire commettre l’erreur que j’ai moi-même commise : celle de négliger sa vie privée.
Je ne leur demande pas non plus l’impossible : si on n’a un effectif réduit, je vais limiter le nombre de couverts, passant parfois de 50 à 30 sur un service, même si le Chiffre d’Affaires va le ressentir.
Enfin, je nous fais bénéficier à tous, chaque année, de sessions de formation avec des MOF (Ndlr: Meilleur Ouvrier de France). Cette année c’est Fabrice Devigne qui est venu nous former aux nouvelles techniques de cuisine, aux nouveaux types de cuisson, à de nouvelles formes de mise en place. On a besoin de cette remise en question pour avancer.
“J’ai fait l’armée chez mes mentors Alain Ducasse et Michel Del Burgo.”
Votre plus belle rencontre gastronomique à ce jour ?
Je dis souvent que j’ai fait l’armée chez mes mentors Alain Ducasse et Michel Del Burgo : ils m’ont enseigné une rigueur dans la manière de travailler. Ces chefs sont exceptionnels : ils arrivent à sublimer des produits à un point qu’il est presque impossible de reproduire le goût, même avec de l’expérience.
Le concept de votre restaurant ?
Les concepts, j’en ai vu défiler. Ce qui marche dans la durée, c’est la bonne cuisine. Je suis très axé sur le local mais pas à 200%. De temps en temps, je m’amuse avec un poisson exotique. Si je devais absolument définir un concept, ce serait la liberté. La routine est ennuyeuse.
Votre plat signature ?
Je dirais que c’est Le Benjamin, mon dessert de finaliste du championnat de France qui a entre temps été perfectionné.
On a aussi mis à la carte un plat très audacieux : des Fraises au Bleu et au Sauterne, un travail mené avec toute ma brigade. Nous sommes très fiers qu’il soit apprécié de nos clients. Et ça change de la cuisine traditionnelle !
“Ce sont les saisons qui font la cuisine.”
Votre produit local de prédilection ?
Le genièvre de Wambrechies, incontestablement. Je n’aurais jamais cru que cet alcool très fort aurait autant de potentiel. J’ai deux sacs de baies de genièvres rapportés de la distillerie que je travaille différemment selon les recettes. Après, ce sont les saisons qui font la cuisine. On a souvent hâte que la saison prochaine arrive pour travailler de nouveaux produits !
Des projets pour l’avenir ?
Je voudrais bien être propriétaire de mon restaurant pour m’assurer une retraite plus sereine. Cela peut paraître peu ambitieux mais aujourd’hui je ne rêve pas d’étoiles, je ne rêve pas non plus de devenir un chef célèbre. Je souhaite seulement que mes clients continuent d’apprécier mon restaurant et que mes employés aient plaisir à venir y travailler. Et en ce qui me concerne ? Déléguer davantage plus et enfin passer plus de temps avec ma famille.
Adresse : 13 Place du Général de Gaulle – 59118 Wambrechies
Téléphone : 03 20 93 68 55
Site internet : www.balsamique-restaurant.com
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